La rentrée scolaire a ramené avec elle le sujet de l’insécurité alimentaire chez les enfants. Dès la fin du mois d’août, nous avons pu apprendre dans les médias que des écoles se sont vu retirer leur programme de collations subventionnée par le gouvernement. Cette désolante pénalité a été excusée par les politiciens, justifiant un nouveau calcul déterminant le portrait économique des secteurs. En raison de cela, l’embourgeoisement de certains quartiers a eu pour effet de voir certaines écoles retirées de la liste des bénéficiaires du programme de collations.
Les directions des écoles jugées maintenant comme fréquentées par des enfants issus de familles suffisamment fortunées pour qu’ils soient nourris convenablement ont dû annoncer aux parents qu’il était désormais de leur ressort de fournir une collation adéquate à leur enfant, en suivant les règlements de l’école en matière de saine alimentation. Dès la tombée de cette choquante réforme, des enseignantes ont pointé du doigt la situation qui a pour conséquence de punir des enfants qui ne font que manger ce que leurs parents peinent à leur donner. L’enfant qui ne mangeait pas à sa faim l’année dernière ne mange pas plus cette année parce que des condos de luxe se sont construits près de chez lui, mais c’est pourtant ce que ce calcul pragmatique et dénué de nuances semble prétendre.
Bien qu’une transition ait été annoncée pour pallier la crise, la question de l’alimentation des enfants est si sensible que nous avons voulu étoffer notre prise de position en allant questionner des enseignantes sur cet enjeu. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Madame A, enseignante en sixième année, et Madame V, enseignante à la maternelle*, toutes deux dans une école primaire à Laval. Leurs parcours se sont déroulés jusqu’à maintenant au sein d’écoles jugées défavorisées où elles ont maintes fois été témoins d’une alimentation déplorables chez les tout petits comme chez les plus grands. Elles ont pris notre appel très au sérieux, désireuses de partager avec nous ce qu’elles côtoient au quotidien.
Lumière sur la collation d’avant-midi.
*Les enseignantes ont préféré garder l’anonymat par souci de discrétion envers les élèves et leurs familles
Quels sont les règlements de l’école en lien avec les collations apportés par les enfants ?
A & V : La plupart des écoles de la commission scolaire de Laval insistent sur les collations santé (fruits, légumes ou produits laitiers). Les noix sont interdites pour le moment à cause des allergies. Les croustilles et autres aliments gras et sucrés sont réservés aux activités spéciales, habituellement pour garder l’idée que ces aliments devraient être consommés certes, mais avec modération.
D’après ce que les enfants apportent comme nourriture, ces règlements sont-ils suivis par la majorité des parents ?
A : Non.
V : Je dirais qu’environ le tiers des enfants ne mangent pas une collation santé
Que faites-vous lorsqu’un enfant apporte un aliment qui n’est pas conforme aux règlements ?
A : La plupart du temps, je vais demander à l’élève d’aller se choisir autre chose dans sa
boîte à lunch. Certains font leurs difficiles, mais ils réussissent généralement à trouver quelque chose derelativement santé.
V : Effectivement, on doit leur montrer à faire les bons choix dès le début de l’année, même s’il arrive qu’ils n’aient pas l’option de choisir quelque chose de santé.
A : Je remarque que souvent, les enfants ne sont pas éduqués sur quels aliments sont bien pour eux et pour leur concentration en classe. Ils préfèrent choisir ce qu’ils préfèrent (sucré) plutôt que ce qui est bon pour leur corps. Il arrive aussi par contre que les enfants n’aient rien comme aliment santé dans leur boîte à lunch et qu’ils n’aient pas la possibilité de choisir du tout.
L’école dispose-t-elle de mesures particulières dans le cas où un enfant ne mange pas à sa faim ?
A & V : Cette année, nous avons un frigo avec des collations pour les situations d’urgence. Certaines écoles disposent d’une cantine où des collations ou même des repas peuvent être achetés. D’autres sont affiliées avec le Club des petits déjeuners. Ce n’est pas présent dans toutes les écoles, donc un enfant défavorisé, mais fréquentant une école favorisée n’a pas accès à ces services, malgré le fait qu’il en aurait peut-être besoin…
Voyez-vous des répercussions entre l’alimentation des enfants et leur participation en classe ?
A : Oui, vraiment. Les élèves ayant une alimentation plus saine sont généralement plus calmes et sont capables de rester concentrés sur une tâche sur une plus longue durée. Mes élèves qui s’énervent en fin d’après-midi sont souvent ceux qui ont mangé des biscuits comme collation !
V : Il est certain qu’une différence est perçue le matin si un enfant arrive sans manger. Pour ce qui est de la collation, un enfant qui ne mange pas un aliment santé aura faim beaucoup plus rapidement et ne sera pas aussi concentré. En maternelle, nous bougeons énormément et nous voyons le manque d’énergie de ces élèves.
Quand on parle d’école défavorisée, quels types de portraits familiaux forment le paysage de l’école ?
V : L’indice de défavorisation d’une école est calculé selon deux variables : l’indice de milieu socio-économique et le seuil de faible revenu. Ainsi, les situations particulières ne sont pas prises en compte, mais sont toutefois bien présentes dans les milieux scolaires et viennent teinter leurs portraits.
A : On parle de portraits de familles très variés. Ces écoles sont souvent situées dans des quartiers où il y a une forte concentration d’immigrants et de réfugiés. C’est le cas dans à Pont-Viau et à Laval-des-Rapides, où j’ai travaillé. Les parents ont un revenu familial relativement faible en raison de diplômes non reconnus et d’emplois à faible salaire. Certains parents doivent combiner deux emplois à la fois pour y arriver, alors ils sont souvent absents. Les familles monoparentales ou les cas de DPJ sont aussi assez fréquents dans ces milieux.
Les enfants et leurs parents semblent-ils sensibles à l’importance d’une saine alimentation ?
A : C’est un sujet qui intéresse beaucoup les enfants quand je discute avec eux. Ils semblent au courant, mais comme pour tout, ils ont du mal à l’appliquer de façon autonome. L’aide des parents est cruciale dans leur éducation alimentaire.
V : Il est certain que la majorité des parents est concernée par l’alimentation de leurs enfants. Cependant, une alimentation saine est souvent différente selon la nationalité ou la culture de la famille. De plus, plusieurs familles aimeraient offrir une meilleure alimentation à leurs enfants, mais n’ont pas les moyens nécessaires pour y arriver.
Croyez-vous que les aliments apportés par les enfants soient le reflet du faible revenu familial, des goûts des enfants, ou plutôt du manque de connaissance des parents ?
A & V : Je crois que c’est un peu de tout. Plusieurs variables entrent en jeu.
A : Il y a clairement des familles qui ne peuvent se permettre d’offrir des choix santé à leurs enfants. J’ai déjà eu des élèves qui avaient 6 frères et sœurs… Dans une situation plus difficile, les parents préfèrent acheter quelque chose de moins dispendieux, mais qui nourrira quand même leur enfant. À l’inverse, je crois aussi que beaucoup de parents achètent aux enfants tout ce qu’ils veulent, alors leurs collations reflètent parfois aussi leurs propres choix.
La qualité des aliments apportés par les enfants va-t-elle forcément avec la situation économique des parents ?
A & V : Pas nécessairement. Des élèves de familles assez aisées peuvent aussi manger mal.
Croyez-vous qu’il soit nécessaire d’encadrer les aliments que les enfants peuvent apporter ou non à l’école?
A : Oui et non. Je crois qu’il est important de sensibiliser les enfants aux saines habitudes de vie et aux bons aliments. Cependant, il faut aussi être compréhensif face aux familles qui n’ont rien d’autre à donner à leur enfant. Je ne vais jamais punir un enfant parce qu’il n’a pas une collation dite santé.
Dernièrement, certaines écoles se sont vu retirer le programme de collations subventionnées par le gouvernement. Face à cela, la direction a rappelé aux parents que c’était à eux de donner une collation à leur enfant qui correspond aux règles de l’école (fruits, légumes ou produits laitiers). Croyez-vous que toutes les familles aient la possibilité d’offrir une collation saine à leur enfant ?
A & V : Non, vraiment pas. Certaines familles ont de la difficulté à joindre les deux bouts, alors pour eux, l’achat d’aliments sains est moins important que l’achat d’aliments tout court. L’important est de nourrir leur famille et c’est tout. L’aspect santé est secondaire pour eux. De plus, beaucoup de parents ne sont pas conscientisés à l’habitude d’une saine alimentation dès le plus jeune âge.
Avez-vous été témoins de situations que vous aimeriez partager?
A : Des collations malsaines, on en voit tous les jours… Des biscuits aux brisures de chocolat, croissants au chocolat, jujubes, aliments hyper sucrés… J’ai déjà donné une partie de mon lunch à une de mes élèves, car tout ce qu’elle avait, c’était un sandwich froid avec de grosses tranches de fromage orange à l’intérieur… Au niveau de l’éducation à la maison, selon mes observations, les enfants ne connaissent pas la différence entre du bon sucre dans un fruit et le sucre dans un aliment transformé.
Concernant l’alimentation, souhaiteriez-vous que des programmes soient assurés dans toutes les écoles, peu importe le portrait des enfants qui la fréquentent ?
A : Je crois que toutes les écoles devraient fournir les collations aux élèves. On leur demande d’être attentifs durant cinq heures en classe sans se soucier de savoir s’ils ont les moyens nécessaires pour l’être. Je crois aussi que la nutrition devrait prendre une place importante dans le cursus scolaire des élèves.
V : Il est certain que des programmes seraient bénéfiques pour l’ensemble des familles, car nous ne sommes jamais trop informés sur le sujet de l’alimentation. J’ai la chance de travailler au préscolaire et de pouvoir faire davantage de sensibilisation auprès des enfants. De plus, je cuisine une fois par mois avec eux afin de leur montrer qu’il est facile de cuisiner des recettes saines rapidement et pas trop compliquées.
Texte et propos recueillis par Marianne Brisebois, chargée de projets aux communications
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