L’enjeu de la lutte au gaspillage alimentaire a la cote au Québec. On s’indigne que des tonnes et des tonnes de nourriture bonne à manger se retrouvent aux ordures et on a bien raison. Dans les faits, ce sont des millions de tonnes, 11,2 millions au Canada [1] pour être précis. C’est tellement gros qu’on a de la difficulté à bien se représenter ce que ça signifie. Quand on sait qu’un éléphant pèse en moyenne six tonnes, ça en fait du pachyderme dans le conteneur à déchets !
L’enjeu de l’insécurité alimentaire, lui, n’a pas autant la cote, et pourtant, il est majeur ! En effet, selon le Bilan-Faim 2016 des Banques alimentaires du Québec, près de 1,8 million de demandes d’aide alimentaire ont été faites chaque mois [2].
Du coup, il n’est pas étonnant qu’en associant les deux problématiques et en réfléchissant un peu on se dise « L’affaire est ketchup ! On va lutter contre le gaspillage alimentaire et réduire
l’insécurité alimentaire en récupérant et en donnant ces denrées invendues aux personnes en situation de pauvreté ». Vraiment ? Est-ce une si bonne idée que ça ?
En fait, c’est une question de raisonnement et d’objectifs. Que veut-on réaliser exactement ? Réduire notre empreinte écologique ? Prendre des mesures sérieuses dans un contexte de crise
climatique ? Viser le « zéro déchets » ? Bonifier l’offre alimentaire des personnes fréquentant les comptoirs de distribution parce que leurs revenus sont trop bas pour qu’elles puissent s’acheter elles-mêmes leur nourriture ? Permettre à l’état et aux différents paliers de gouvernements de se dédouaner de leur responsabilité de respecter, protéger et réaliser le droit de chaque personne de se nourrir dans la dignité ? Toutes ces réponses ? À moins que ce soit : comment composer avec deux problématiques qui nuisent à la nature et aux personnes tout en n’empêchant pas les lois du libre marché de demeurer ?
Prendre des mesures structurelles pour réduire au maximum le gaspillage alimentaire dans une perspective écologique, vivement ! Prendre des mesures systémiques pour éliminer l’insécurité
alimentaire sur notre territoire qui passent par le filtre du droit à l’alimentation, ça presse ! Utiliser l’anti-gaspi pour régler la faim ? C’est la dernière chose à faire.
Les denrées détournées de l’enfouissement doivent être accessibles universellement, sans égard à notre situation financière. La disponibilité des aliments, leur accessibilité physique et économique, qu’ils correspondent à nos besoins et qu’ils soient issus d’une production écologique, ce doit être possible pour tout le monde. Pas seulement pour les personnes qui ont les moyens de se payer leur nourriture.
Autrement, nous nous retrouvons dans une société injuste, inéquitable et discriminante. Accepter collectivement qu’une partie de la population ait accès aux ressources et qu’une autre, non, c’est primitif et violent. Gaspiller, c’est aussi très irrespectueux, car peu d’entre nous réalisent tout l’effort, tout le temps et toute l’énergie que ça prend pour faire pousser le vivant qui garnit nos assiettes et sustente nos ventres.
Travailler à réellement manger tout ce qu’on produit et garantir à toutes et tous le droit à l’alimentation sont des incontournables. Ce faisant, c’est toute la collectivité qui profitera des
bonnes poubelles !
Cassandre Mélanie Lamoureux, chargée de projet au développement et à la mobilisation des régions
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