Ninette Langevin est aveugle de naissance. Elle aide un voyant, aux deux yeux bandés, à couper une carotte. Ninette lui explique comment juger, au toucher, de la grosseur et texture du légume : « Ça fait comprendre aux gens comment nous nous débrouillons, peu importe la nature du handicap. Mesurer la farine, ça va bien quand tu vois, tu prends ta tasse pis envoye-donc! Mais avec les yeux bandés, c’est autre chose! Les gens s’introduisent ainsi aux méthodes et aux techniques qu’on prend pour, par exemple, verser la farine dans le bon plat. Eux aussi doivent toucher (les aliments). Nous, c’est comme ça qu’on fonctionne, en palpant. Ça leur fait vivre une belle expérience. »
Un mercredi enneigé de février, rue Berri, dans le cœur du Plateau-Mont-Royal. Huit voyants liés au monde des cuisines collectives passent plus de deux heures, les yeux bandés, à préparer une soupe minestrone, un pita au poulet et un gâteau renversé aux ananas. Trois aveugles et deux voyants les accompagnent, avec l’ordre de ne pas intervenir. « C’était notre première expérience de cuisine collective à l’aveugle, sous bandeau », explique Josée Boyer, agente de développement et de communication au Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM). « On offre depuis aujourd’hui ce service sur notre site. Les gens peuvent se former un groupe pour vivre cette expérience, dans le noir. » http://raamm.org/activites/activites-entreprises-grand-public/
À la fin de l’exercice, une fois retiré le bandeau lui bouchant la vue, le coordonnateur du Regroupement des cuisines collectives du Québec, Frédéric Paré, explique avoir expérimenté un sentiment d’isolement et de complet détachement, semblable à celui associé à la méditation ou au yoga. « Les gens parlent et tu ne sais pas si c’est à toi qu’ils s’adressent. Tu restes là, sur ta chaise, à faire ta tâche puis à attendre tranquillement, les bras ballants. C’est très zen! »
« J’ai déjà préparé une soupe aux ananas! », rigole Ninette. « Je faisais une soupe aux légumes, je voulais mettre des tomates dans ma soupe, alors je brasse la canne, ça faisait à peu près le son des tomates, j’ouvre la boîte sans la sentir, et je mets la boîte d’ananas dans ma soupe aux légumes! »
« À la maison, les épices et tout ça, il faut que ça soit étiqueté en braille. En général, tout ce qui peut être mélangeant, je le note. Ouvrir une boîte de pois ou une boîte de blé d’Inde, ça se ressemble beaucoup, tu sais. Des fois, tu brasses un peu la canne et tu sais que c’est un bouillon. J’étiquette tout ou alors je le range comme il faut dans ma dépense ».
Ariane Turmel-Chénard, une vidéaste de 25 ans, observe comment Ninette s’y prend pour nettoyer le poulet : « Elle fait ça mille fois mieux que moi! » Une autre accompagnatrice, Pascale, est devenue aveugle une fois adulte. Elle explique comment elle a, par erreur, fait frire des fèves congelées, confondues avec les frites…
L’exercice est terminé. Toutes et tous retirent leur bandeau. « Chanceux! Vous venez de retrouver la vue! », s’exclame Pascale. Une jeune participante aux cheveux roses affirme maintenant « mieux comprendre la situation des aveugles ». Cuisiner est une situation. Prendre le métro en est une autre.
« Quand tu prends le métro avec ta canne (blanche) », dit Ninette, « les gens courent tout partout, ce n’est pas de leur faute, c’est la vie qui est de même. Parfois ils s’enfargent dans notre canne, mais ce n’est pas grave. »
« Moi, personnellement, il y a des petites choses qui me frustrent. Par exemple quand, dans un magasin, à la banque ou dans un hôpital, les gens ne s’adressent pas à toi, même si ce qu’ils disent te concerne. Ils vont s’adresser à la personne qui est ton guide ou qui se situe près de toi : ben là, faudrait qu’elle prenne ça ou qu’elle fasse ça. Alors je dois expliquer que c’est moi qui vais prendre ces médicaments et que c’est à moi qu’on doit expliquer comment les prendre. »
L’atelier de cuisine dans le noir, d’une durée de 3 heures, est donné par le RAAMM, au coût de 50$ par personne, et inclut le repas et l’accompagnement d’une personne handicapée visuelle pour répondre à vos questions.
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Info : Jack Duhaime, 514 529-3448 communication@rccq.org
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