Nous perdons notre emploi. Nous choisissons de nous exclure physiquement de notre famille parce que nous travaillons dans un milieu à risque et que nous ne voulons pas exposer nos amours au virus. Nous n’avons jamais autant travaillé, au point même où on nous donnera congé les dimanches pour nous permettre de nous reposer. Nous sommes salariés, mais ne pouvons pas télétravailler et cherchons donc un espace pour contribuer.
Nous avons faim. Nous faisons la queue pour recevoir de la nourriture solidairement distribuée par une organisation communautaire. Nous faisons l’épicerie en ligne. Nous attendons, longtemps, que nos sacs soient livrés. Nous faisons la queue pour un autre, nous achetons des aliments pour un aimé, nous préparons des repas pour un aîné, nous livrons à vélo.
Nous angoissons parce que l’argent manquera peut-être, manque déjà, pour combien de temps ? Nous pourrons, si nous avons accès à la technologie, si nous savons lire et comprendre ce que nous lisons, profiter de divers programmes gouvernementaux. Si le chèque n’est pas encore posté, il viendra néanmoins. En attendant, c’est probablement la souffrance. Devrions-nous nous rappeler que « ça va bien aller » ?
Nous vivons ensemble, pas toujours aisément, moins encore simplement. Nous sommes tendus, nous devons décharger. Le confinement réduit les exutoires. La violence est peut-être là. Certains parmi nous se sentent en prison. De leur domicile, de leur résidence, de leur situation financière, de la dynamique de leur ménage. Nous profitons de cette pause pour nous observer. Que pouvons-nous laisser aller? Quel est notre meilleur futur possible ? Comment soutenir son émergence ? La pandémie est aussi une opportunité.
Nos enfants, notre plus grande richesse ! Nous sommes si reconnaissants de pouvoir passer du temps de qualité avec ces formidables êtres en développement. Et, à la fois, combien ils nous pèsent, c’en est déroutant, désespérant. Nous voulons être adéquats, compréhensifs, soutenants. Nous doutons, nous questionnons, nous culpabilisons. Faut faire l’école à la maison, faut sortir dehors, faire de l’activité physique, stimuler les neurones, tonifier les muscles, alimenter sainement les cellules, aimer. Faut travailler. Ne parlons pas du temps que nos héritiers passent devant les écrans, c’est un enjeu douloureux.
Notre lieu d’habitation est désormais notre presque seul milieu de vie. Certains d’entre nous ont les moyens de laisser courir leurs enfants dans la maison, d’autres pas. Certains d’entre nous s’y sentent en sécurité, d’autres pas. Certains d’entre nous peuvent profiter du jardin, d’autres d’entre nous profitent des moisissures.
Ensemble, nous le sommes. Et seul ensemble également. La solitude et l’isolement sont si présents qu’ils représentent un enjeu de santé publique. C’était bien avant la pandémie.
Grâce à la pandémie, nous pouvons prendre de la hauteur pour mieux nous voir, mieux nous sentir, éclairer nos angles morts. Nos failles sont mises en évidence. Nous ne sommes pas un nous qui créons du bien-être collectif. Nous acceptons que les conditions de vie des plus vulnérables d’entre nous soient souffrantes, appauvrissantes et discriminantes. Nous acceptons d’évoluer et de contribuer à un système de déresponsabilisation organisé. Les effets dans la nature et sur le vivant sont sans appel.
Nos forces sont tout autant mises en valeur. L’agilité dont fait preuve notre gouvernement dans sa réponse costaude et courageuse face à la crise en est une preuve éloquente. Nous sommes volontaires, nous sommes capables, nous sommes disciplinés. Malgré ce qu’il en coûte, nous appliquons la prescription de la santé publique. Si ce n’est pas un sacrifice maintenant, c’est assurément un investissement pour plus tard. Nous sommes solidaires, nous sommes créatifs, nous sommes déterminés. Mille initiatives, qu’elles soient communautaires, citoyennes, entrepreneuriales ou gouvernementales, le démontrent. Grâce à la pandémie, nous pouvons apprendre sur nous-mêmes, sur nos choix, sur nos actions. Nous pouvons prendre de la hauteur et changer. Nous le faisons déjà.
Toutes les sociétés ont pour socle des ordres imaginaires auxquelles des masses de personnes adhèrent. Grâce à cette adhésion, des millions de personnes qui ne se connaissent pas peuvent collaborer, coopérer. Et c’est fascinant. Il est faux de penser que les collectivités sont immuables. En fait, c’est l’inverse et une pandémie peut accélérer le changement, elle ouvre le champ des possibles.
Il est faux de penser qu’on ne peut rien changer à notre condition, à notre environnement, à notre système. Ensemble, depuis maintenant quelques semaines, nous nous révélons à nous-mêmes. Nous portons en nous un spectaculaire potentiel d’empowerment. Soyons intelligents, saisissons cette occasion.
Cassandre Mélanie Lamoureux
Chargée de projet au développement et à la mobilisation des régions pour le Regroupement des cuisines collectives du Québec
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